Apprentissages scolaires et émotions

Apprentissages scolaires et émotions
Author/s:
Professor of Developmental Psychology and Cognitive Neuroscience of Education, University of Paris; Director, Laboratory for the Psychology of Child Development and Education, French National Center for Scientific Research (CNRS), France
Theme/s:

Émotions et apprentissage

Ce rapport est le fruit d’un programme de bourses en sciences de l’apprentissage financé par l’Organisation internationale de recherche sur le cerveau (IBRO) en partenariat avec le Bureau international d’éducation (BIE) de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Le programme de bourses en sciences de l’apprentissage IBRO/IBE-UNESCO vise à soutenir et à transmettre des recherches clés en neurosciences sur l’apprentissage et le cerveau aux éducateurs, aux décideurs politiques et aux gouvernements.

Executive summary

  • Les émotions sont difficiles à définir mais joue un rôle critique dans les apprentissages
  • Faire une erreur entraine des émotions qu’il faut pouvoir identifier pour les corriger
  • Le regret et le soulagement constitue deux leviers des apprentissages de l’élève
  • Ces capacités exécutives sont essentielles pour la réussite scolaire, pour la santé physique et mentale et plus généralement la qualité de vie, et pour les aptitudes socio-émotionnelles.

Introduction

Les émotions : une définition complexe

Les émotions sont au cœur de notre vie sociale et de nos apprentissages tout au long de la vie. Elles reposent sur des circuits cérébraux spécifiques et en particulier sur un ensemble de structures sous corticales (amygdale, thalamus, et hippocampe enfouis au cœur de notre cerveau) plus spécifiquement engagé dans la reconnaissance et le ressenti émotionnel et corticales (notamment le cortex orbito-frontal, ventro-médial et cingulaire antérieur dans la partie antérieur de notre cerveau) impliqué dans la régulation des émotions (Ledoux, 2000). Si les circuits cérébraux impliqués dans les émotions sont globalement bien identifiées aujourd’hui, les définir restent compliquées (Barrett, Mesquita, Ochsner, & Gross, 2007). D’un point de vue descriptif, les émotions se caractérisent  par des modifications physiologiques du rythme cardiaque par exemple, elles intègrent une composante expressive comme le sourire ou le froncement des sourcils et reposent sur un ressenti subjectif du sujet (Damasio, 2006). Les émotions ne se limitent pas aux émotions primaires comme la joie, le dégout, la colère, la peur, la tristesse et la surprise souvent considéré comme universel bien que leur expression et leur régulation peuvent différer d’une culture à une autre. Les émotions renvoient aussi à des émotions plus intellectuelles, dites contrefactuelles, comme le soulagement ou le regret qui sont des moteurs puissants de l’apprentissage et de la prise de décision et dans le cerveau humain. Nous ressentons typiquement ces émotions complexes quand nous prenons conscience qu’un choix différent aurait eu une conséquence plus positive (regret) ou plus négative (soulagement) que le choix que nous avons opéré (Habib et al., 2012).

Au fondement de l’apprentissage, le ressenti de l’erreur et les alertes émotionnelles

Devant pour la première fois réponde à un problème arithmétique à contenu verbal de type « Lily à 10 billes, elle en a 5 de plus que Sienna. Combien de billes Sienna a-t-elle ? », les élèves ont tendance à se tromper en répondant que Sienna possèdent 15 billes. L’erreur dans ce contexte piège est liée à la difficulté à résister à l’automatisme « si j’entends plus je fais une addition » créé et renforcé au cours de leur scolarité (Borst et al., 2015). Néanmoins, quand l’enfant se trompe, son cerveau détecte déjà implicitement l’erreur qui a été commise. Cette détection de l’erreur qu’elle soit implicite ou explicite est un des mécanismes fondamentaux de l’apprentissage à l’école et en dehors (Dreisbach et Fischer, 2015). Cette détection des erreurs par le cerveau est en partie de nature émotionnelle (Saunders et al., 2017). Dans une situation où il s’est déjà trompé, le cerveau de l’enfant récupère en mémoire le ressenti émotionnel lié à l’erreur. Sur la base de ce sentiment, le cerveau de l’élève va élaborer une nouvelle stratégie de résolution du problème, différente de celle qui l’a amené à se tromper auparavant. Les émotions sont donc au cœur des apprentissages de l’enfant.

Corriger l’erreur de l’élève en tenant compte de ses émotions

Si dans certaines situations d’apprentissage, l’élève détecte implicitement ses erreurs, ce n’est pas nécessairement le cas dans les apprentissages scolaires fondamentaux (langage, écriture, mathématique, raisonnement logique). L’erreur nécessite donc d’être expliciter mais dépend fortement de la valence du feedback (positifs ou négatifs) que l’élève reçoit sur sa production : avant 11 ans, des feedbacks dans lequel l’erreur n’est pas associée à une émotion négative   favorisent les apprentissages de l’élève alors que des feedbacks où l’erreur est connoté négativement ont un effet inverse. Au cours de l’adolescence, l’élève est, dans un premier temps, plus sensible aux feedbacks positifs mais progressivement pourra bénéficier de feedbacks négatifs (Van Duijvenvoorde et al., 2008).

Regret et soulagement pour apprendre à s’adapter

Le regret et le soulagement sont deux émotions contrefactuelles qui l’élève ressent à propos de décisions qu’il a déjà prise mais il peut également les anticiper pour guider ses décisions futures  (Mellers et al., 1999). L’anticipation du regret et du soulagement constitue un des mécanismes par lesquels l’élève peut apprendre à changer de stratégies pour identifier celles qui sont les plus adaptées à la résolution d’un problème qu’il doit résoudre. Ces émotions contrefactuelles reposent sur un réseau de structures cérébrales et en particulier le cortex cingulaire antérieur et le cortex ventro-médian, structures qui sous-tendent les relations entre cognition-émotion. Contrairement aux émotions primaires qui émergent relativement tôt dans le développement de l’enfant, les enfants n’expriment du regret qu’à partir de 4-5 ans et du soulagement qu’à partir de 5-6 ans mais il faut attendre 7 à 8 ans pour qu’ils anticipent ces émotions contrefactuelles (Mc Cormack et Feeney, 2015). L’anticipation de ces émotions contrefactuelles ouvrent des perspectives intéressantes pour aider l’élève à dépasser des erreurs systématiques mais sans doute pas avant 7 ou 8 ans.

Le stress chronique, une menace pour les apprentissages de l’élève

Le stress chronique est un frein pour les apprentissages de l’élève car il a un effet sur la maturation de plusieurs structures cérébrales qui jouent un rôle clef dans les apprentissages comme l’hippocampe pour la mémorisation à long terme, le lobe frontal pour le raisonnement et la détection des erreurs et l’amygdale pour le reconnaissance et le ressenti des émotions (Davidson et Mcewen, 2012). Le stress chronique affecte ces régions plus spécifiquement car elles possèdent de nombreux récepteurs au cortisol, l’hormone du stress (Blair et Raver, 2016). Le stress chronique entrainerait chez certains enfants une sensibilité exacerbée  à certaines menaces dans leur environnement (Gianaros et al., 2008). Cette sensibilité exacerbée entraîne des difficultés à réguler certaines émotions  (McEwen, 2007) alors même que la régulation des émotions constitue un prédicteur de la réussite scolaire.

 

References

  1. Barrett, L. F., Mesquita, B., Ochsner, K. N., & Gross, J. J. (2007). The experience of emotion. Annual review of psychology58, 373–403.Blair, C., & Raver, C. C. (2016). Poverty, Stress, and Brain Development: New Directions for Prevention and Intervention. Academic pediatrics, 16, S30–S36.Borst, G., Aïte, A., & Houdé, O. (2015). Inhibition of misleading heuristics as a core mechanism for typical cognitive development: evidence from behavioural and brain-imaging studies. Developmental Medicine & Child Neurology, 57, 21-25.Damasio A. R.  (2006). L’erreur de Descartes : La raison des émotions, Paris, Odile Jacob.Davidson, R. J. & Mcewen, B. S. (2012). Social influences on neuroplasticity: stress and interventions to promote well-being. Nature Neuroscience, 15, 689–695.Dreisbach, G., & Fischer, R. (2015). Conflicts as aversive signals for control adaptation. Current Directions in Psychological Science, 24, 255-260.Gianaros, P. J. et al. (2008). Potential neural embedding of parental social standing. Social, Cognitive and Affective Neurosciences, 3, 91–96.

    Habib M. et al. (2012). Counterfactually mediated emotions: A developmental study of regret and relief in a probabilistic gambling task. Journal of Experimental Child Psychology, 112, 265-274.

    Ledoux, J. E. (2000). Emotion Circuits in the Brain. Annual Review of Neuroscience, 23,155-184

    McCormack, T., & Feeney, A. (2015). The development of the experience and anticipation of regret. Cognition & Emotion, 29, 266-280.

    McEwen, B. S. (2007). Physiology and neurobiology of stress and adaptation: Central role of the brain. Physiological Review, 87, 873–904.

    Mellers, B., Schwartz, A., & Ritov, I. (1999).Emotion-based choice. Journal of Experimental Psychology: General, 128, 332-345

    Saunders, B., Lin, H., Milyavskaya, M., & Inzlicht, M. (2017). The emotive nature of conflict monitoring in the medial prefrontal cortex. International Journal of Psychophysiology, 119, 31-40.

    Van Duijvenvoorde, A. C. K. et al.  (2008). Evaluating the negative or valuing the positive? Neural mechanisms supporting feedback-based learning across development. The Journal of Neuroscience, 28, 9485-9503.